LETTRE OUVERTE AUX SENATEURS
Objet : lettre ouverte aux sénateurs concernant l’article 23 de la proposition de loi dite « Sécurité globale »
Monsieur le Président de la commission des lois,
Mesdames et Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs les membres de la Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale,
Après l’adoption en première lecture de la proposition de loi dite « Sécurité globale » par l’Assemblée nationale, cette loi vous a été transmise.
Comme tous, vous avez pu constater l’émoi et les critiques qu’a pu susciter l’article 24 de cette proposition.
Cet article, aussi important soit-il, ne saurait faire oublier le reste de cette proposition et en particulier l’article 23, lequel prévoit :
« Après l’article 721 1 1 du code de procédure pénale, il est inséré un article 721 1 2 ainsi rédigé :
« Art. 721 1 2. – Les personnes condamnées à une peine privative de liberté pour une ou plusieurs infractions mentionnées aux articles 221 4, 222 3, 222 8, 222 10, 222 12, 222 13, 433 3 du code pénal ne bénéficient pas des crédits de réduction de peine mentionnés à l’article 721 du présent code, lorsque ces infractions ont été commises au préjudice d’une personne investie d’un mandat électif public, d’un militaire de la gendarmerie nationale, d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un sapeur pompier professionnel ou volontaire. Elles peuvent toutefois bénéficier d’une réduction de peine dans les conditions définies à l’article 721 1. »
Cet article vise donc à exclure du bénéfice des crédits de réduction de peine des personnes condamnées pour certaines infractions, lorsque la victime exerce certaines professions ou fonctions électives (voir infra).
L’Association des avocats pour la défense des droits des détenus (Association A3D) tient à vous faire part de sa position puisque cette disposition concerne directement les personnes détenues.
A titre liminaire, l’Association A3D rappelle que les crédits de réduction de peine ont été instaurés par la loi n°2004-204 du 9 mars 2004, dite loi « Perben 2 », du nom du garde des sceaux alors en exercice, lequel était peu suspect de laxisme.
Ces crédits de réduction de peine permettent aux condamnés de voir leur peine immédiatement réduite de deux mois par année, et un mois supplémentaire pour la première année ou 7 jours par mois pour les peines de moins d’un an.
Il ne s’agit que de crédits. Par suite, ces crédits peuvent être retirés aux condamnés lorsqu’ils adoptent, pendant le temps de leur détention, un mauvais comportement (article 721 alinéa 2 du Code de procédure pénale).
Dans la pratique, les juges de l’application des peines, après avis de l’administration pénitentiaire, ordonnent quotidiennement le retrait de ces crédits, qui constituent un outil de gestion du bon ordre en détention.
Ces crédits de réduction de peine n’ont donc pas le caractère automatique et définitif qu’on leur attribue parfois.
Ces éléments rappelés, l’Association A3D conteste la pertinence de cet article pour les raisons ci-après exposées.
I. Sur l’incohérence de cet article avec l’objectif de diminution de la population carcérale
Comme vous le savez, par un arrêt J.M.B. et autres contre France du 30 janvier 2020, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour le caractère structure de sa surpopulation carcérale et les conditions indignes de détention qu’elle engendre.
Si une réduction a bien pu être constatée à la suite du premier confinement, celle-ci n’aura que peu duré, puisque le nombre de détenus est déjà reparti à la hausse.
Ainsi, le taux d’occupation moyen est désormais supérieur à 100 %. Certains établissements étant encore particulièrement touchés.
Pour exemple, la densité carcérale est :
- De 196,9 % à la maison d’arrêt de Carcassonne
- De 131,1 % au centre pénitentiaire de Majicavo
- De 155,6 % au centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin
- De 150,4 à la maison d’arrêt de Brest
- De 129,6 à la maison d’arrêt de Sarguemines
Aussi, le problème de la surpopulation carcérale est loin d’être résolu et la France doit tout faire pour s’éviter une nouvelle condamnation européenne et répondre aux exigences de la Cour de Strasbourg.
Or, la suppression de crédits de réduction de peine pour une partie des détenus, telle que prévue par l’article 23 de la proposition de loi dite de sécurité globale, ne ferait qu’accroître le problème, puisqu’elle allongerait nécessairement la durée de détention subie par un nombre conséquents de condamnés, ce compte tenu de l’ampleur des infractions considérées par le texte.
Cet article va donc à l’encontre des engagements internationaux de la France.
II. Sur l’incohérence de cet article avec la gradation des infractions
L’article précité prévoit que ne peuvent bénéficier de crédits de réduction de peine, les auteurs des infractions suivantes lorsqu’elles ont été commises au préjudice d’une personne investie d’un mandat électif public, d’un militaire de la gendarmerie nationale, d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un sapeur pompier professionnel ou volontaire :
- Meurtre aggravé (article 221-4 du Code pénal)
- Tortures et actes de barbarie aggravés (article 222-3 du Code pénal)
- Violences aggravées ayant entraîné la mort sans intention de la donner (article 222-8 du Code pénal)
- Violences aggravées ayant entraîné une infirmité permanente (article 222-10 du Code pénal)
- Les violences ayant entraîné une incapacité de travail supérieure à huit jours aggravées (article 222-12 du Code pénal)
- Violences aggravées ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours (article 222-13 du Code pénal)
- Menaces et actes d’intimidation commis contre les personnes exerçant une fonction publique (article 433-3 du Code pénal).
La proposition de loi fait fî de la distinction cardinale du droit pénal entre les crimes, les délits et les contraventions, et brouille ainsi l’échelle des peines, puisque cette liste comprend des crimes mais également des délits.
Ce n’est plus la gravité de l’infraction qui justifierait une plus grande sévérité dans les conditions d’exécution de la peine, mais la personne au préjudice de laquelle l’infraction a été commise.
Jusqu’à présent, les seuls condamnés qui ne peuvent bénéficier de crédits de réduction de peine étaient ceux qui l’ont été pour des infractions à caractère terroriste (article 721-1-1 du Code de procédure pénale), une disposition motivée par la gravité des faits commis et les difficultés alléguées par l‘administration pénitentiaire comme l’institution judiciaire dans le suivi de ces condamnés.
Le texte qui vous est présenté propose d’aligner le régime d’exécution de la peine d’un auteur de menaces à l’égard d’une personne dépositaire de l’autorité publique sur celui des personnes condamnées pour des infractions de nature terroriste.
Sans que les infractions commises à l’égard des représentants des forces de l’ordre ou des élus ne puissent être minimisées, cette comparaison révèle le caractère totalement disproportionné de la mesure proposée.
L’arsenal législatif existant fait déjà de l’appartenance de la victime aux forces de l’ordre une circonstance aggravante de la quasi-intégralité des crimes et délits d’atteintes aux personnes. Cette proposition de loi ne s’inscrit dans aucune politique pénale, ne poursuit aucun réel objectif concernant le sens de la peine. Cette proposition de loi, qui ne vise qu’à réaffirmer le soutien du gouvernement aux forces de l’ordre, dévoie la loi pénale de ses fonctions.
Compte tenu de ce qui précède, l’Association A3D tenait à particulièrement attirer votre attention sur les conséquences majeures qu’une telle disposition aura sur l’exécution des peines, l’aggravation de la surpopulation carcérale, l’incompréhensible distinction entre les régimes de détention des uns et des autres et la perte de sens qu’elle provoquera.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs les membres de la commission des lois, l’expression de nos salutations les meilleures.
Amélie MORINEAU, Présidente
pour le bureau de l'Association
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